Le regard de l’autre, l’opinion, les avis des autres… Sans nous en rendre véritablement compte, nous nous laissons aiguillés par ces marqueurs. Ils influencent nos décisions, nos actions et même notre vision du monde et de nous-même.
Nous sommes des êtres sociaux et, à ce titre, il est normal d’attacher une certaine importance au regard de l’autre. Mais à partir de quel moment cette importance va au-delà de sa fonction d’origine ? À quel moment cette attention devient excessive et se substitue totalement à notre opinion personnelle sur nous-même? A t-on au moins un avis sur nous-même indépendant de celui des autres ? De quelle nature est-il : plutôt positif ou plutôt négatif ? Et est-il vraiment dissocié de celui des autres ?
Je vous propose une série d’articles autour de l’estime de soi en commençant par l’article sur l’opinion des autres. Cette série abordera ce thème cher à tous dans ces différentes dimensions. Elle aidera à mieux en comprendre le fonctionnement et tentera d’apporter des clés qui permettront peut-être de faire évoluer l’estime que nous nous portons.
Une tendance guidée par nos bas instincts
Cette manière de s’attacher au regard de l’autre, à ses avis, ses opinions notamment sur nous-même est, en fait, guidée par une crainte issue de nos profonds instincts, la peur (voire la terreur) d’être rejetés par nos semblables. Comme l’explique Christophe André, il n’y aurait rien de plus dangereux pour nous que de se sentir exclus et rejetés. Nous vivons, ainsi, avec cette impression que sans l’autre nous ne sommes rien. Il n’est donc pas étonnant de se focaliser sur l’autre en espérant “désespérément” de se sentir exister dans le regard de l’autre et par rapport à l’autre.
Ce mécanisme, qui se caractérise par un besoin d’être aimés, appréciés et acceptés des autres, habite notre psyché et se loge dans la partie la plus archaïque de notre cerveau. Il nous vient donc de nos origines, à l’époque où il était indispensable d’être en groupe pour se nourrir et être protégés.
Un fonctionnement archaïque qui domine
Depuis notre cerveau s’est bien évidemment développé pour apporter plus de finesse à nos jugements mais paradoxalement, ce fonctionnement demeure et continue de guider nos instincts. Il est vrai qu’aujourd’hui encore, nous fonctionnons et évoluons au sein de groupes. D’une certaine manière, nous sommes tous encore interdépendants mais notre survie au sens premier du terme (se nourrir/ se protéger) ne dépend plus directement de notre tribu et de notre clan.
La survie dont il est question ici relève plus d’une survie dite sociale. Le regard des autres nous aident à sonder notre positionnement parmi nos semblables et notamment dans les groupes auxquels nous appartenons. Ceci nous rassure ou nous pousse à nous y adapter et ainsi pouvoir conserver notre place au sein de ce groupe et nous épargner la peine de l’anéantissement de notre identité.
Mais, si être accepté par nos semblables reste aujourd’hui important, ce réflexe qui nous amène parfois jusqu’à nous dissoudre totalement ne serait-il pas trop influencé voire déformé par notre « neurobiologie archaïque », plus conditionnée par un enjeu de survie vitale.
Le piège
Dans cette équation, il y a un aspect qui n’entre que rarement en ligne de compte, dont on ne fait que rarement référence est la partialité du regard de l’autre. L’autre porte un regard sur nous qui n’est « que » son regard à lui avec tout ce qui comporte notamment toutes ses propres déformations. Nous accordons donc un crédit démesuré à un avis qui porte, pourtant, en lui tous ses travers : craintes, peurs, appréhensions, projections personnelles dues à une histoire personnelle déjà bien façonnée et « façonnante ».
Nous pourrions alors légitimement nous demander pourquoi nous accordons tant d’importance à ces façons de voir et de fonctionner qui ne sont pas les nôtres, à ces jugements d’autrui qui reposent sur des codes sociaux que nous ne partageons pas forcément et qui ne font pas nos valeurs ? Au nom de quoi, la vision des autres aurait-elle plus de valeur que notre propre vision ?
Le poids des normes sociales
On ne peut ignorer le poids parfois écrasant des tendances sociales, des normes sociales qui dictent nos conduites, qui nous disent ce qui est bien et pas bien, si nous sommes dignes ou non d’intérêt, qui nous disent dans quelle case nous mettre pour nous y condamner. Bref, il s’agit là de tendances tout à fait arbitraires, à la faveur de ceux qui s’estiment en haut de la pyramide, qui pensent avoir gagné chèrement leur place et qui se gargarisent de cette hiérarchie sociale.
La performance, le statut social, la visibilité et d’autres critères sociaux sont mis en avant aujourd’hui plus que jamais, seuls critères communément admis par tous, quel que soit le côté dans lequel on se trouve. Il n’est pas question ici de la nécessité de travailler, de gagner sa vie, de subvenir à ses besoins, de se faire plaisir et d’être entouré.
Il s’agit ici, plutôt, de mettre le projecteur sur un classement purement arbitraire qui n’arrange que ceux qui y souscrivent. Et ce classement n’a plus rien de raisonnable ni de raisonné puisque le seul but est de se sentir du bon côté de la ligne et diminuer tous ceux qui ne le sont pas pour mieux se sentir rayonner. Mais ces niveaux d’exigence qui ne sont que des leurres satisfaisant les égos fragiles et mal orientés ne sont, en fait, que les stigmates d’une peur, la peur de perdre ces prérogatives factices et de se sentir démunis et dépossédés de ce qu’ils pensent être leur valeur.
Ce que nous avons à perdre
Il est alors regrettable de constater que nous laissons nous définir ainsi que définir nos aspirations et nos capacités par des tendances et des normes sociales qui n’engendrent que des peurs irraisonnées. Et le piège est de s’annihiler, nous, notre identité et, au passage, tout notre bon sens, aspects de nous qui portent pourtant en eux toute leur valeur, même si nous n’en avons généralement pas conscience.
Est-il, alors, judicieux pour notre santé mentale de laisser déterminer notre propre valeur personnelle par ceux qui semblent être régis par des valeurs qui ne sont pas les nôtres et qui sont guidés par une peur irrépressible qui les plongent dans une sorte de confusion mentale mettant à mal des valeurs profondes au profit de critères plus superficiels ?
Remettre son regard au centre
Il est vrai que personne ne peut se sentir bien s’il ne se sent pas accepté. Et il ne s’agit pas ici de prôner l’isolement, bien au contraire. Mais quand cette dualité nous procure un sentiment d’inexistence dans lequel on ne trouve que solitude et un profond désarroi, c’est que nous nous sommes laissés submergés par ces diktats qui, au fond, ne nous correspondent pas. On ne s’est pas donnés la chance d’être, d’être ce que nous sommes, en choisissant un entourage sain et approprié pour nous. Nous ne nous sommes pas accordés la place et l’espace suffisant pour exister, qui sont pourtant légitimes.
Comme dit Catherine Bensaid, psychologue, dans cette méconnaissance de nous-même, dans cette non-réalisation, on est plus que jamais la proie du désir d’autrui: on n’existe plus que dans le regard des autres, seuls capables alors de nous donner vie. Un regard de l’autre qui n’est pas toujours sain pour nous et encore moins juste.
Reprendre son propre pouvoir
Il est alors important de comprendre et de s’approprier ceci : nous avons tous une voix, nous avons une place et nous avons notre vision qui est valide et valable, au moins pour nous. Nous avons tous une valeur personnelle intrinsèque au-delà de tout attribut physique, intellectuel ou qui relèverait de quelconques capacités.
Nous sommes les seuls à nous connaître vraiment, puisque nous sommes les seuls à vivre depuis notre intérieur, c’est d’ailleurs ce qui caractérise notre individualité. Nous sommes les seuls à connaître la véritable substance de nos expériences, à connaître nos capacités, à savoir ce que nous avons accompli etc. Pourquoi laisserions-nous les autres nous définir ?
Il est, alors, capital de déplacer ce regard de l’extérieur vers l’intérieur, de redonner toute sa place, toute sa légitimité et toute sa crédibilité à notre propre regard sur nous-même. Et l’idée est de pouvoir faire ceci en transcendant le regard des autres dont le contenu ne repose, en réalité, souvent que sur des valeurs superficielles et sur une impression rapide qu’ils prennent pour argent comptant, sans discernement et souvent par complaisance.
À faire dépendre notre valeur de l’opinion de l’autre, elle risque fort d’exister dans l’instabilité aléatoire de ce regard et de nous plonger dans la plus grande insécurité intérieure.
Trouver le juste milieu
Nous sommes les seuls à vraiment pouvoir reconnaître cette valeur comme nous sommes les seuls à pouvoir nous valider nous-même dans ce que nous sommes. Il ne s’agit pas ici de se plonger dans une suffisance ou même s’affranchir voire s’enorgueillir de nos défauts. Au contraire, l’idée est plutôt de reconnaître ce qu’il nous faut améliorer, que nous avons évalué nous-même, tout en revenant à notre centre de gravité, stable et durable, sur lequel nous pouvons nous appuyer et revenir en cas d’instabilité.
Tout l’enjeu est, en fait, de trouver le juste milieu, le juste équilibre entre l’attention portée au regard de l’autre (dont le contenu est pour le moins partial et aléatoire) et notre propre regard. Nous pouvons, bien entendu, tenir compte du regard de l’autre mais jamais à nos dépends et jamais en le substituant à notre propre regard. Cela ne nous épargnera pas de commettre des erreurs mais ces erreurs seront les nôtres et nous verrons nous-même, ensuite, quoi faire de ces erreurs, à la lumière de notre propre appréciation.
S'aimer plus soi-même et se préserver
Il est vrai que nous devons évoluer dans ce monde tel qu’il est constitué car nous n’avons pas le pouvoir de le changer à notre humble niveau. Nous pouvons, néanmoins, « jouer le jeu », prendre part d’une certaine manière à ce monde tout en percevant les choses différemment, en ayant le recul et la compréhension nécessaires pour ne pas se laisser absorber pour le tourbillon.
Les idées parcourues dans cet article sont des pistes de réflexion et de travail qui peuvent aider à s’extirper de ce tourbillon en apprenant à se détacher du regard de l’autre et en s’accordant toute la crédibilité dont mérite notre propre regard. Car c’est notre rôle de nous défaire de ce regard si celui nous pèse et de veiller sur nous, tout en se questionnant sur la personne que nous voulons être.
Notre pire ennemi
Mais, au fond, par qui sommes-nous vraiment juger ? Ne sommes-nous pas la plupart du temps notre pire ennemi ? Quand nous nous reprochons des choses, quand nous nous critiquons, quand nous nous estimons pas à la hauteur… Il faut bien l’avouer : le jugement le plus dur porté est celui que l’on se porte à soi-même. Nous avons même tendance, parfois, à associer notre propre regard au regard que les autres nous portent. Nous croyons tout bonnement que ce que nous pensons de nous est partagé par les autres.
Les opinions, les avis des autres sur nous-même ne sont souvent pas si dramatiques que nous le pensons et très souvent furtifs. Les personnes pensent d’abord à eux-mêmes, ce qui est là aussi un signe que “les estimes de soi” comportent une certaine fragilité. Comme le dit Christophe André “si nous pensons trop à nous c’est que nous y pensons mal”.
Se questionner
Cette course au meilleur, à la réussite, à celui qui sera le plus téméraire, le plus fun, le plus mode ne peut qu’avoir des effets délétères sur nous-même. Ça nous épuise et ça nous fait ressentir de la peur, une peur de perdre ce statut si “chèrement” gagné, jusqu’à nous déposséder de nos valeurs les plus humaines.
Quelque soit le côté de la barrière dans laquelle on se trouve, il est important de se questionner sur cette impression sur soi et, peut-être, entreprendre un travail sur son estime de soi si nous l’estimons nécessaire. Ce travail sera, certes, de longues haleine mais il se montrera payant. En nous ouvrant à nous même, à n’étant de plus authentiques, en s’autorisant à être tel que l’on est, nous devenons plus serein, ce qui donne plus de chance de se sentir épanoui.
Le choix de l’entourage a aussi son poids. Comment pouvons-nous nous sentir bien avec des personnes qui semblent nous désapprouvés ? En choisissant plus soigneusement notre entourage, en essayant de mettre de la distance avec certaines personnes, nous nous créons un environnement plus sain et plus propice à cet épanouissement recherché par tous.
Comme dit Byron Katie, « Mon Dieu, préserve-moi de ce besoin d’être aimé et apprécié ? ». Ainsi, nous pourrions donner moins de puissance à nos craintes et à nos fantasmes de rejet.
Stéphanie Ghigonetto
Sophro-thérapeute
Sophologue, thérapeute par les mouvements oculaires, art-thérapeute, utilisation de la PNL, l'EFT, du Training Autogène de Schultz.